2007/07/02

Sunt mala quae libas - Partie 1

"Le coup le plus rusé que le diable ait réussi, c'est de convaincre tout le monde qu'il n'existait pas."

Cette célèbre réplique de The Usual suspect décrit bien une réalité: le mal réside en chacun de nous, fait partie de notre quotidien et nous gagnerions à le faire ressortir de manière maîtrisée.


C'est du moins ce que nous dit en substance Michel Maffesoli, auteur de "La Part du Diable: Précis de subversion post-moderne" (2002). Il explique que le "bien" est la justification ultime du messianisme judéo-chrétien et que la peur de l'ombre (du mal) est née dans l'acte fondateur biblique (comme le récit de la chute) lorsqu'il est dit en Genèse 1,3: "Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres". C'est au nom du bien que l'on décrète ce qui doit être vécu et pensé, ceci étant à l'origine de beaucoup de tabous.

Il ajoute que "contre ce progressisme judéo-chrétien qui s'emploie à expliquer toutes choses (ex-plicare, enlever les plis), la mutation post-moderne accepte elle, les plis des archaïsmes prémodernes". Selon lui l'enjeu de cette mutation est de reconnaître la "part du diable", savoir en faire un bon usage, afin qu'elle ne submerge pas le corps social. La tendance de fond de la vie post-moderne est donc "la liaison organique du bien et du mal, du tragique et de la jubilation": c'est en acceptant le mal, sous ses diverses modulations, que l'on peut préserver notre société. C'est donc prendre à contre-pied le Retro vade satana:

Crux sancta sit mihi lux / Non draco sit mihi dux
Vade retro satana / Nunquam suade mihi vana
Sunt mala quae libas / Ipse venena bibas
Traduction pour les non-latinistes:
Que la Sainte Croix soit ma lumière / Ne laisse pas le Dragon me guider
Arrière Satan / Ne me tente jamais par de vaines choses
Ce que tu m'offres c'est le mal / Bois le poison toi-même
Maffesoli s'appuie à plusieurs reprises dans son exposé sur la figure de Dionysos, symbole de d'"hédonisme ambiant", de "sauvagerie latente", ou encore d'"animalité sereine". Ce dieu grec a inspiré l'exposition Dionysiac (merci Carole C. pour l'invitation au vernissage) qui s'est déroulée en mai 2005 à Beaubourg. Elle fut consacrée à quatorze artistes contemporains, dont le défunt Jason Rhoades qui a fait planner une remarquée menace terroriste sur l'expo qui a semble-t-il inspiré datA pour son titre "J'aime pas l'art" (écoutez le début).
L'adjectif "dionysiac" désignait selon les organisateurs "un rapport spécifique de l'art à la vie, un formidable OUI, farouche à la résignation, qui passe autant par la colère et le plaisir de la destruction que par l'exaltation de la vie et du flux, jusqu'à l'excès. Avec en sus, un goût du rire, de l'ironie et d'une certaine subversion, si tant est qu'elle soit aujourd'hui encore possible."

Nous nous pencherons sur la notion de subversion dans la prochaine partie.

5 commentaires:

Kudzu a dit…

Quel article! Ca me donne envie de faire plus d'efforts pour les miens! J'attends la suite avec hâte!

Pourrais-tu préciser cette utilisation de l'adjectif dyonisiaque? J'ai toujours lié ce mot aux Bacchantes, qui ont mis en pièce Orphée et qui sont particulièrement violentes. C'est étrange de voir la violence extrême comme quelque chose vers lequel il faudrait tendre.

Rijk a dit…

La violence est libératrice si elle est canalisée. Si on considère le sport - et pas forcément la boxe - celui-ci permet de nous défouler au lieu d'accumuler une énergie qui serait dévastatrice si elle devait sortir tout d'un coup un jour.
La violence n'est pas nécessairement équivalente au meurtre, au sadisme, aux insultes. Elle peut prendre d'autres canaux et cela... tu le verras dans une prochaine partie.
Une précision concernant Dyonisos. Ce dieu est souvent représenté sur des animaux qu'on associe généralement à la violence tel que le taureau: il domine son instinct animal. Cette bête à cornes n'est pas anodine puisqu'elle est à la source du parallèle avec le Diable et la Chrétienté en général [http://en.wikipedia.org/wiki/Dionysus#Parallels_with_Christianity]

Kudzu a dit…

Je suis plutôt d'accord avec l'idée d'une violence libératrice si elle est canalisée, mais l'un des points principaux de Dyonisos, c'est qu'il n'y a que peu/pas de contrôle me semblait-il (les bacchanales se produisent pendant un temps limité...).

Rijk a dit…

Un temps limité est un contrôle: choisir de danser dans une salle sombre le temps d'une nuit nous affranchit pour un instant des limitations qu'on s'impose en temps normal en plein jour (pas besoin de citer quelques sociologues).
On se dépense, on se connecte à d'autre personnes comme on ne le ferait pas si on avait pas bu et si on était hors de ce cadre.
Les sorties en boîtes de nuit sont peut-être les bacchanales modernes.

Kudzu a dit…

Alors j'attends sagement la suite de l'article ^_^